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Tranduit par Audrey Lemire

Dans un réfrigérateur transformé sur l’île de Vancouver, Dave Brimacombe, fondateur de Wayward Distillery, a consacré ses débuts en distillation à une activité peu conventionnelle dans le domaine des spiritueux : le réchauffement de fûts de miel cristallisé pesant 640 livres. Wayward Distillery se spécialise dans la création de spiritueux haut de gamme élaborés exclusivement à partir de miel fermenté provenant de la Colombie-Britannique.

« Nous avons métamorphosé un réfrigérateur en réchauffeur, explique Brimacombe. Nous conservons les fûts de miel pendant deux semaines pour permettre à la chaleur de les pénétrer lentement. Une cuisson excessive du miel entraîne la destruction d’une grande partie de ses protéines. » L’objectif est de préserver l’intégrité de ce matériau, car le miel s’avère être un ingrédient à la fois complexe et exceptionnellement gratifiant dans le cadre de la distillation artisanale.

honey bee

Alors que les grains, la mélasse et les fruits ont longtemps constitué les ingrédients standards pour la fermentation, certains distillateurs canadiens se tournent vers le miel en raison de sa complexité intrinsèque, de son caractère régional et de son attrait croissant auprès des consommateurs.

Un ingrédient digne d’intérêt

Face à une demande croissante pour des produits durables et locaux, les spiritueux à base de miel apportent une valeur ajoutée significative. Le miel est une ressource naturellement renouvelable et, lorsqu’il est produit de manière responsable, sa récolte soutient des populations d’abeilles saines, essentielles à la pollinisation d’une vaste gamme de cultures.

Contrairement aux cultures agricoles traditionnelles, le miel ne nécessite ni plantation, ni irrigation, ni perturbation du sol, ce qui réduit considérablement son empreinte environnementale. Ainsi, les spiritueux à base de miel offrent non seulement une palette de saveurs, mais s’inscrivent également dans des valeurs de gestion écologique et de biodiversité.

person lifting a bottle of spiced honey liqueur out of a vat filled with honey

Le spiritueux au miel vous procure une sensation en bouche légère et délicate. C’est facile à boire, floral, fruité et cela n’a pas cette grande sensation huileuse que l’on obtient avec certains grains céréaliers.

Jordan Ramey, Burwood Distillery

En Colombie-Britannique, où les distillateurs doivent utiliser 100 % d’ingrédients agricoles locaux, le miel présente un double avantage, à la fois pratique et éthique, pour les producteurs. « Nous travaillons avec le miel parce que c’est une source alimentaire durable, affirme Brimacombe. Utiliser du blé, du maïs ou des fruits de la Colombie-Britannique retire beaucoup de nourriture de notre réseau alimentaire. Le miel est un sous-produit de la production alimentaire. »

Cette approche durable, ancrée dans la fierté provinciale, résonne à travers le pays. À Burwood Distillery, en Alberta, le miel est devenu un ingrédient central grâce à un partenariat fondateur entre Ivan Cilic, Jordan Ramey et Marko Cilic, un apiculteur local. Ce qui a débuté comme une décision pragmatique d’utiliser l’excès de miel pour créer des spiritueux s’est transformé en un engagement à célébrer l’héritage agricole de l’Alberta. « Nous souhaitions explorer le potentiel de ce miel, confie Ramey. D’autres producteurs fabriquent de l’hydromel, alors pourquoi ne pourrions-nous pas, en tant que distillerie, créer un produit novateur mettant en valeur nos ruchers locaux et concevoir quelque chose d’unique dans cette région du monde ? »

D’un point de vue chimique, le miel se distingue des autres ingrédients fermentables. Il contient un mélange de sucres simples et complexes, d’acides, d’enzymes et de composés phénoliques. Certains de ces éléments se décomposent pendant la fermentation pour engendrer des composés alcooliques et aromatiques, tandis que d’autres survivent à la chaleur intense de la distillation, apportant des notes de fruits, d’épices ou de douceur florale dans le spiritueux final. Les spiritueux à base de miel se révèlent souvent plus légers, plus doux et plus floraux que leurs homologues à base de grains ou de mélasse.

« Le spiritueux au miel procure une sensation en bouche légère et délicate, explique Ramey. C’est un produit facile à déguster, floral et fruité sans la sensation huileuse que l’on obtient avec certains grains. » La vodka, le gin et l’alternative au rhum de Wayward conservent tous ce caractère, malgré une triple distillation et l’absence de saveurs ajoutées.

« Le miel conserve ses arômes tout au long du processus, ce qui signifie que nous commençons avec une base qui présente déjà un profil de saveur très positif en distillation, précise Brimacombe. Il possède une belle viscosité, des huiles naturelles issues de la fermentation et une douceur persistante. »

Défis logistiques : l’art de travailler avec le miel

Bien que le miel offre une saveur exquise et une provenance éthique, il exige un retour sur investissement logistique considérable. Pour commencer, il ne se verse pas aisément. Wayward reçoit le miel dans des fûts de 200 litres, chacun pesant plus de 600 livres. Les débuts de la distillerie ont impliqué la manipulation de lots de 50 livres à la main à l’aide de tasses à mesurer de quatre tasses. Finalement, un processus sur mesure a été développé, utilisant l’injection d’eau chaude et une pompe spécialisée pour liquéfier et déplacer le miel en toute sécurité et efficacement.

Cette quantité de miel n’est pas exactement bon marché. Alors que les grains coûtent à peine quelques centimes par litre, le miel est un ingrédient premium, coûtant entre quatre et huit fois le prix du grain malté, selon Ramey. Cela rend la production de spiritueux à base de miel significativement plus coûteuse et quasiment impossible à échelonner à bas coût.

honey bee

Face à cette réalité, Wayward a dû faire preuve d’adaptabilité. Lorsque la pandémie a modifié les habitudes de consommation, Brimacombe a réimaginé son approche 100 % miel, se concentrant sur l’utilisation du miel là où il influençait réellement la saveur et la qualité, dans des produits tels que Unruly Vodka, Unruly Gin et Drunken Hive Rum. Pour des offres plus accessibles, il a introduit des grains éthiquement sourcés, favorables aux pollinisateurs, sans glyphosate, sans pulvérisation et entièrement traçables, tout en maintenant les valeurs de Wayward.

Contrairement aux cultures agricoles traditionnelles, le miel ne nécessite ni plantation, ni irrigation, ni perturbation du sol, ce qui réduit considérablement son empreinte environnementale. Cela signifie que les spiritueux à base de miel non seulement offrent de la saveur, mais s’alignent également sur des valeurs de gestion écologique et de biodiversité.

Un nouveau défi a émergé : éduquer les consommateurs. « Nous sommes une distillerie centrée sur le miel qui propose trois produits fabriqués à 100 % à partir de miel de la Colombie-Britannique, et tout le reste que nous faisons est favorable aux pollinisateurs, explique Brimacombe. Nous utilisons du miel chaque fois que nous employons un édulcorant. Nous avons dû communiquer la différence entre fabriqué avec du miel et fabriqué à partir de miel. »

Ramey a également été confronté à cette problématique avec le premier produit de Burwood. « Notre premier produit s’appelait Single Hive, à l’instar d’un single malt, raconte-t-il. Cependant, les consommateurs étaient confus. Était-ce du rhum ? Était-ce du whisky ? Nous souhaitions faire comprendre qu’il s’agissait d’un spiritueux au miel vieilli en fût, ayant un goût qui rappelle à la fois le rhum et le single malt écossais, mais sans grain. Il est difficile de raconter cette histoire de marque rapidement. »

Ce défi a poussé Burwood à expérimenter et à affiner son approche, menant à la création de The Bee Whisperer, un mélange de son whisky single malt et de son spiritueux au miel vieilli en fût. Pour élaborer le composant au miel, Burwood dilue d’abord le miel afin qu’il puisse fermenter correctement. Ensuite, il fermente pendant environ une semaine en utilisant de la levure de Chardonnay ainsi que quelques microbes sauvages, ce qui ajoute des saveurs florales et botaniques uniques. Après fermentation, le spiritueux est distillé deux fois, comme un whisky traditionnel, et vieilli dans des fûts de bourbon américains usagés pendant jusqu’à sept ans.

« Ce spiritueux au miel représente environ 10 % du mélange final, les 90 % restants étant du whisky single malt, précise Ramey. Le résultat est un whisky canadien qui offre un goût doux et familier, mais avec une subtile touche de fleurs sauvages. »

Three bottles of honey infused liquor on hive-shaped shelving
Photo: Wayward Distillery/Ellie Hart Creative

Les spiritueux à base de miel évoluent dans une zone grise en matière de réglementation. Au Canada, des boissons comme la vodka, le whisky et le rhum sont définies par leurs ingrédients de base, généralement des grains, des pommes de terre ou des sous-produits de la canne à sucre, ce qui limite l’expérimentation avec le miel. Cette situation crée des obstacles pour les producteurs. Par exemple, Wayward n’a pu étiqueter son spiritueux à base de miel comme de la vodka qu’en 2018, car il ne respectait pas les exigences relatives aux grains ou aux pommes de terre.

En Alberta, Burwood a collaboré avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) pour créer une nouvelle catégorie : le rhum canadien, produit à partir de miel. Cette initiative découle d’un sous-produit de l’apiculture. Lors du nettoyage des cadres de ruche, des sucres caramélisés résiduels forment une substance sombre et visqueuse, sans utilisation adéquate. Burwood a donc expérimenté en traitant cette substance comme de la mélasse, la fermentant, la distillant et l’affinant pour créer un spiritueux similaire au rhum. Le résultat est un produit audacieux et épicé au miel, qui contribue à réduire le gaspillage agricole.

Cependant, selon les réglementations fédérales, ce produit ne peut toujours pas être qualifié de rhum, car il ne provient pas de la canne à sucre. Pour contourner cette problématique, Burwood le commercialise sous le nom de « rhum », en réponse à l’ambiguïté réglementaire. L’ACIA est ouverte à la possibilité d’une nouvelle catégorie, mais cela nécessite la participation d’un plus grand nombre de producteurs avant qu’une désignation officielle puisse être établie.

De la fleur à la bouteille

honey bee

Tout comme les raisins et les grains expriment leurs conditions de croissance, le miel reflète les plantes, les fleurs et le climat dont les abeilles se nourrissent. C’est pourquoi les distillateurs sont particulièrement sélectifs quant à l’origine florale.

Le miel présente naturellement une vaste gamme de profils de saveur selon les fleurs dont les abeilles se nourrissent. Ces variétés sont connues sous le nom de variétales. Bien que tous les miels partagent une douceur familière, chaque variétale porte des notes florales uniques superposées. La distillation concentre ces saveurs, permettant à l’identité de chaque variétale de miel de s’exprimer pleinement. Chez Wayward, l’accent est mis sur le miel de trèfle sauvage.

« Les abeilles pollinisent des cultures partout en Colombie-Britannique, puis se reposent sur les champs de trèfle sauvage dans le nord de la province, explique Brimacombe. C’est une source alimentaire efficace pour les abeilles, si l’on considère la densité d’un mètre cube de trèfle par rapport à un mètre cube de, disons, des framboises. »

C’est idéal tant pour les abeilles que pour les distillateurs en quête de rendements fiables et d’un spiritueux floral équilibré. Burwood, quant à elle, travaille avec un miel « mélange prairie », composé de colza, de trèfle, de fleurs sauvages et de nombreuses autres variétés que les abeilles de l’Alberta rencontrent. « C’est le temps de floraison en Alberta dans une bouteille, déclare Ramey. Je perçois des arômes de fleurs sauvages, de chèvrefeuille et de rose. Certaines personnes évoquent la lavande ; d’autres perçoivent des notes végétales crues. »

Travailler avec le miel n’est pas une mince affaire. C’est coûteux, capricieux et ne s’intègre pas toujours dans les catégories de spiritueux existantes ou les cadres réglementaires.

Les caractéristiques du miel varient d’année en année en fonction du climat, des précipitations et des cycles de floraison. Pour maintenir une qualité de spiritueux cohérente, les distilleries s’appuient sur un mélange détaillé, un profilage sensoriel et, dans le cas de Wayward, une analyse de fermentation automatisée utilisant un équipement qu’ils ont co-développé avec un collège local.

Pour Wayward, son approche mono-florale aide non seulement à standardiser la saveur, mais garantit également un contenu en sucre systématiquement plus élevé que celui que l’on trouve dans le miel générique des épiceries, qui contient souvent plus d’eau. Une concentration en sucre plus élevée conduit à une fermentation plus efficace, de meilleurs rendements en alcool et moins de saveurs indésirables, permettant un meilleur contrôle sur le spiritueux final.

Bien que trouver le bon miel soit un art, les méthodes de Wayward sont également soutenues par une solide base scientifique. « Le miel change d’un fût à l’autre, donc nous avons construit un système automatisé avec un chimiste titulaire d’un doctorat, précise Brimacombe. Il échantillonne la fermentation toutes les 20 minutes, suivant 23 paramètres comme le pH et le Brix. Après plus de 100 fermentations, nous savons exactement comment ajuster – comme ajouter de l’eau si le miel est plus sucré – pour maintenir la cohérence. »

honey bee

Pour Burwood, le miel peut varier considérablement en fonction de la saison et de ce dont les abeilles se nourrissent, mais il dispose de plusieurs moyens pour maintenir la cohérence. Tout d’abord, le miel qu’il utilise est déjà mélangé par ses producteurs à la fin de la saison, évitant ainsi de travailler avec des lots très différents provenant de mois distincts. Lorsque vient le temps de mélanger le produit final, des échantillons sont prélevés dans un grand réservoir de fûts et seuls ceux qui répondent au profil de saveur sont sélectionnés. Chaque mélange passe par des panels de dégustation et des essais à petite échelle avant d’être mis à l’échelle. Il prend également en compte les différences dans le vieillissement en fût : l’emplacement du fût dans l’entrepôt, sa fabrication et même le climat sec de l’Alberta, qui influence la maturation du spiritueux.

Un doux changement

Alors que les consommateurs canadiens deviennent de plus en plus conscients de ce qu’ils consomment et d’où cela provient, le miel offre aux distillateurs artisanaux un mélange d’histoire, de substance et d’intrigue sensorielle. Bien qu’il n’ait peut-être pas encore la reconnaissance grand public du vin ou du whisky, cela commence à évoluer. Les spiritueux à base de miel se taillent leur place dans l’industrie et incitent les consommateurs à repenser ce qu’ils retrouvent dans leur verre.

« L’un des plus grands défis avec les spiritueux à base de miel est cette étrange déconnexion dans la perception des consommateurs, note Brimacombe. Les consommateurs comprennent que la bière est brassée localement, ou que le vin provient d’un vignoble voisin. C’est visible, c’est agricole et cela soutient l’économie locale. Cependant, une étrange dynamique se produit lorsque vous transformez cette bière ou ce vin en vodka ou en gin : les gens cessent de se soucier de son origine. » Cette déconnexion, souligne-t-il, commence à s’estomper.

« Les gens commencent à s’interroger sur l’origine de leurs spiritueux, tout comme ils le font pour la nourriture, le vin et la bière. Je suis ravi d’être ici lorsque cela se produira pour pouvoir dire : ‹Hé, voici quelque chose d’éthiquement sourcé, durable, à faible consommation d’eau et fabriqué à partir de miel. C’est merveilleux. Essayez-le. »

bottle of spiced honey liqueur sitting in a shallow vat of honey
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